Le noci-score, ou score de nocivité, s’inspire du Nutri-Score qui lui note les produits alimentaires en fonction de leur bénéfice nutritionnel. L’objectif du noci-score est de classer les produits en fonction de leur nocivité, et donc de leur niveau de dangerosité pour la santé. Une approche qui veut rendre plus lisible les méfaits de produits tels que l’alcool ou le tabac en échelonnant les taux d’imposition en fonction de la dangerosité des produits.
Entretien avec Jean-Philippe Delsol : « Notre proposition d’un noci-score cherche à faire en sorte que la fiscalité accompagne les politiques de santé publique »
Vous avez proposé la mise en place d’un noci-score pour les produits générateurs d’externalités négatives en termes de coût des soins ou de nuisances. Quel en est le principe ?
Aujourd’hui, la fiscalité française sur le tabac est totalement irrationnelle en surtaxant le tabac chauffé et en détaxant la cigarette électronique, par exemple. Elle n’est pas non plus toujours cohérente sur d’autres produits comme l’alcool avec la bière surtaxée par rapport au vin. Notre proposition d’un noci-score, sur le modèle du Nutri-Score, cherche à faire en sorte que la fiscalité accompagne les politiques de santé publique plutôt que de rester simplement des moyens de contribuer aux recettes publiques.
Nous proposons donc que soit mis en place un comité d’experts indépendants, largement ouvert aux sciences humaines et sociales et aux parties prenantes, qui aurait pour tâche d’évaluer scientifiquement les risques, mais aussi les bénéfices, des produits susceptibles d’attenter objectivement à la santé des individus, notamment de l’alcool et de la nicotine et de classer ces produits par niveau de dangerosité. Le noci-score serait un moyen de délivrer une information simple et claire, distinguée par des couleurs différentes, sur ces mêmes produits, inscrites sur leur étiquette ou paquet, et permettant au consommateur d’apprécier directement le risque. La fiscalité applicable aux produits serait par ailleurs déterminée en fonction du risque établi sur la base de cette évaluation scientifique.
La fiscalité comportementale telle qu’elle existe aujourd’hui vous semble-t-elle cohérente et efficace ?
En Europe, une approche fiscale différenciée est de plus en plus mise en œuvre pour les produits à risques réduits. Ainsi, la majorité des pays européens (17) ont créé des catégories fiscales dédiées pour le tabac à chauffer en y appliquant des taux différenciés par rapport à la cigarette. Pour la cigarette électronique, ce sont la moitié des pays qui ont fait le choix de créer des catégories fiscales, les autres pays n’appliquant pas de droits de consommation à ces produits.
Si les Suédois fument moins – ils sont 73 % de moins que chez nous – ce n’est pas parce que les cigarettes sont plus chères qu’en France. Au contraire, elles y sont 60 % moins chères. C’est parce que leur consommation de snus augmente au fur et à mesure que celle de cigarettes diminue. Le snus, une poudre de tabac humide généralement consommée sous forme de petites boulettes placées entre la gencive et la lèvre supérieure, est 5 fois moins taxé que la cigarette en Suède.
Mais la fiscalité n’est pas une panacée. Alors que la France a augmenté les taxes sur les cigarettes de 212 % en vingt ans, le nombre de fumeurs n’a baissé sur cette période que de 15 %. Les Britanniques, de leur côté, sur la même période, multipliaient aussi les taxes par 3 (+194 %), mais voyaient le nombre de fumeurs divisé par 2 (-55 %). Avec un paquet de cigarettes 45 % moins cher en Italie, celle-ci a 25 % de fumeurs quotidiens de moins qu’en France.
Quelles sont les approches qui vous sembleraient plus efficaces ?
Les approches efficaces sont celles qui sont fondées sur la responsabilité individuelle plus que sur la contrainte fiscale ou la terreur que font régner les paquets de cigarettes morbides d’aujourd’hui. Il nous semble également opportun d’adopter une nouvelle approche, non plus seulement centrée sur l’interdiction, la taxation et la culpabilisation des consommateurs, mais davantage sur les connaissances scientifiques, l’innovation des entreprises…
Est-ce le rôle de l’État de tenter de réguler les comportements de ses citoyens ?
Le rôle de l’État n’est pas de réguler le comportement de ses citoyens, mais de garantir leur sécurité et leur liberté et un environnement propice à leur développement. À ce titre, il doit aussi veiller à ce que la fiscalité applicable soit juste. Ce qui veut dire qu’elle doit s’appliquer selon des critères objectifs. Il semble équitable de taxer les produits susceptibles d’induire des coûts publics en matière de santé, afin que de telles charges soient assumées par les consommateurs de ces produits plutôt que par ceux qui s’en abstiennent. Il s’agit d’appliquer le principe juridique d’égalité de traitement, qui implique un traitement différencié en fonction des libres comportements des individus.
Mais le levier de la fiscalité ne doit être pris en compte à cet effet que parce que l’ensemble du domaine de la santé est actuellement en France du ressort de l’État. Il serait sans doute plus efficace de laisser les Français libres d’assurer leurs risques santé auprès des mutuelles ou compagnies de leur choix, avec l’obligation néanmoins de souscrire un contrat d’assurance, en permettant que le prix de ces contrats soit fixé en fonction du comportement de l’assuré. Ainsi, le système assurantiel pourrait favoriser une plus grande responsabilisation des fumeurs ou des buveurs d’alcool. Ce qui n’empêcherait pas le noci-score de garder toutes ses vertus d’information.
Jean-Philippe Delsol
Avocat, essayiste et président de l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF), à l’initiative de cette proposition.