Fiscalité “verte” : comment la rendre plus efficace ?
Interview de la sénatrice Paoli-Gagin
Que ce soit en France ou dans le reste du monde, le recours aux outils fiscaux se multiplient afin d’inciter les entreprises comme les citoyens à modifier leurs comportements dans un sens plus vertueux pour l’environnement. Ces mesures fiscales environnementales peuvent prendre différentes formes, telles que des taxes, des subventions, des crédits d’impôt ou encore des réglementations…
Quelles sont les mesures fiscales les plus pertinentes selon vous en matière de transition écologique ? Quel bilan en tirez-vous ?
La transition écologique s’est imposée comme le défi majeur pour notre société et notre économie. La prise de conscience a été tardive mais elle est désormais bien réelle. Ce défi s’avère immense puisqu’il suppose une modification en profondeur de la façon dont nous produisons, dont nous consommons, dont nous nous déplaçons – bref, il faut décarboner tous les aspects de nos vies.
Cela suppose des investissements massifs pour opérer la transition dans chaque verticale industrielle. Le récent rapport de Jean PISANI-FERRY sur les incidences économiques de l’action pour le climat estime que le supplément d’investissement requis pour atteindre nos objectifs en matière de décarbonation dépasse 2 points de PIB par an jusqu’en 2030. C’est colossal. Il faut bien mesurer l’ampleur de cet effort supplémentaire pour formuler des propositions crédibles à la hauteur des enjeux.
Dans ce même rapport, nous est jouée la ritournelle d’un impôt supplémentaire sur les très hauts patrimoines pour soutenir ce nouveau besoin de financement. À mon sens, cet « ISF vert » ne constitue pas une réponse crédible, et ce pour deux raisons, l’une de principe et l’autre d’efficacité.
D’une part, sur le principe, augmenter la fiscalité sur le capital pour réaliser ces investissements, c’est sous-entendre que le capital ne contribue pas à la transition écologique. Or l’État ne détient pas seul la solution (si tel était le cas, l’Accord de Paris conclu par des États aurait déjà permis de résoudre le problème…). Je défends pour ma part une approche focalisée sur les entreprises, qui peuvent développer de nouvelles technologies de rupture grâce à l’innovation et à la concurrence. Fiscaliser davantage le capital, c’est décourager la prise de risque et dégrader la compétitivité de la France, et donc ralentir la transition écologique.
D’autre part, je crois que nous devons agir non par dogmatisme mais par pragmatisme, en privilégiant les mesures les plus efficaces. Or pour surmonter ce mur d’investissements, il faut mobiliser les capitaux privés pour financer la transition écologique, plutôt que de taxer encore et toujours. C’est plus agréable pour le contribuable et plus efficace pour le climat. Ça tombe bien : l’argent public est rare et l’argent privé abondant. Un chiffre illustre parfaitement cela : la sur-épargne accumulée par les ménages pendant la crise sanitaire avoisine les 175 milliards d’euros, à mettre en perspective avec les 100 milliards d’euros du Plan de relance du Gouvernement, essentiellement financés par de la dette publique…
Charge aux décideurs publics de trouver les bons mécanismes pour drainer les capitaux privés vers la transition écologique. Pour ma part, je défends trois principes cohérents :
- Le pilotage par les résultats, en affinant les référentiels de mesure des émissions carbone et en les rendant accessibles au plus grand nombre possible d’acteurs économiques ;
- La neutralité technologique, car ce n’est pas à la puissance publique de décider a priori – et éventuellement pour de mauvaises raisons – des technologies les plus vertueuses sur le plan écologique ;
- La neutralité sectorielle, car il ne faut pas pénaliser des secteurs très émetteurs de gaz à effet de serre, comme l’agriculture ou la sidérurgie, mais au contraire leur permettre d’opérer leur transition pour améliorer leur empreinte carbone.
En matière de R&D et d’innovation, quels sont les dispositifs fiscaux existants (crédit d’impôt, abattement, amortissement etc.) ? Et quels sont les plus efficaces selon vous ? Est-ce un atout ou au contraire, un poids pour l’industrie française ?
En juin 2022, j’ai rendu public un rapport d’information intitulé « Transformer l’essai de l’innovation : un impératif pour réindustrialiser la France ». Je suis convaincue qu’il n’y aura pas de transition écologique sans réindustrialisation du pays, et qu’il n’y aura pas de réindustrialisation sans innovation. Pour améliorer notre bilan carbone, il semble en effet plus pertinent de produire en France, où nous bénéficions d’un mix énergétique peu carboné, plutôt que de faire produire nos biens à l’étranger et de les importer ensuite ; mais pour pouvoir ouvrir de nouvelles chaînes de production en France, il nous faut absolument miser sur l’innovation.
Dans ce rapport, j’ai fait plusieurs propositions en matière de fiscalité. J’ai notamment proposé de concentrer le crédit d’impôt recherche (CIR) sur les PME et les ETI, qui sont les moteurs de l’innovation en France. Concrètement, je recommande la suppression du taux réduit de 5% au-delà du seuil de 100 millions d’euros de dépenses d’innovation et l’augmentation à due concurrence du taux en-deçà de ce seuil, aujourd’hui fixé à 30%. Il s’agit d’optimiser l’efficacité de la dépense publique. En effet, un rapport du Comité d’Analyse Économique a démontré qu’1€ de CIR entraîne 1,4€ de dépense de R&D chez une PME et seulement 0,4€ de dépense de R&D dans une grande entreprise.
Dans la même logique de soutien à l’effort d’innovation chez les startups, j’ai proposé d’instituer un « coupon recherche innovation » de 30 000 € à destination des PME, afin de les encourager à se lancer dans l’aventure de l’innovation et de s’habituer à investir chaque année dans la R&D. J’ai également proposé de doubler le plafond du crédit impôt innovation (CII) pour le porter à 800 000 €. De même, j’ai demandé au Gouvernement de tripler le plafond de l’achat innovant, aujourd’hui fixé à 10 000€, ce qui peut convenir aux entreprises du numérique mais ne correspond pas aux chiffres d’affaires des startups industrielles.
La fiscalité environnementale peut-elle être un frein à la compétitivité des entreprises françaises ?
Tout impôt pénalise la compétitivité des entreprises françaises. Si l’on croit, comme c’est mon cas, que la réussite de la transformation écologique repose essentiellement sur nos entreprises, alors la fiscalité environnementale ne doit pas augmenter, mais diminuer le poids des prélèvements obligatoires. Ainsi, je suis davantage sensible aux mécanismes qui permettent de diminuer l’impôt dû dès lors qu’ils permettent d’augmenter les investissements verts.
Est-il possible d’éviter cet écueil ?
C’est dans cette logique que j’ai fait adopter, lors du dernier budget, un amendement permettant d’ouvrir le mécanisme du mécénat pour les entreprises aux dons effectués au profit des communes forestières. En effet, la forêt est un atout stratégique majeur pour la transition écologique, que ce soit parce qu’elle capte du carbone et filtre l’eau, parce qu’elle contribue à préserver la biodiversité ou parce qu’elle aide à la stabilisation des sols. Désormais, les entreprises qui soutiennent les communes engagées dans un plan de gestion durable de leur forêt peuvent réduire leur impôt dû. C’est un exemple concret de fiscalité environnementale indirecte, qui permet en outre de faire travailler ensemble sur le terrain les élus locaux et les entreprises.
L’Europe peut-elle jouer un rôle particulier ?
Je suis bien sûr favorable à ce qu’il y ait une dynamique dans ce sens au niveau européen. Je crois que les 27 ont compris que la transition écologique devenait pour eux un enjeu de positionnement stratégique, et je m’en réjouis. Cependant, je remarque aussi qu’il n’est pas facile de faire bouger les lignes à cet échelon en matière de fiscalité puisque les décisions doivent se prendre à l’unanimité. Je pense donc que la plus-value de l’Union européenne réside davantage dans la création de normes et de référentiels en matière d’investissements verts, plutôt qu’en matière de politique fiscale à proprement parler dès lors que celle-ci n’est pas commune.