En matière de fiscalité comportementale, l’un des éléments cruciaux à prendre en compte est l’existence ou non de bons substituts. En leur absence, le consommateur cherchera à satisfaire son besoin d’une manière détournée susceptible de nuire aux objectifs de la fiscalité mise en œuvre.
Ce phénomène est visible dans des domaines où la fiscalité vise des comportements individuels dits à vice, nuisibles pour la personne les pratiquant, ou des comportements générant des externalités négatives pour l’ensemble de la collectivité, comme les émissions de gaz à effet de serre.
Dans le premier cas, la fiscalité comportementale – visant à rendre le comportement coûteux financièrement sans agir sur le besoin – risque d’entraîner des stratégies de contournement. Les ventes officielles du produit surtaxé vont probablement baisser. Mais les consommateurs tendent en revanche à se reporter sur un autre produit qui peut être tout aussi, voire plus nocif que celui qui est visé. Cela compromet l’atteinte des objectifs sanitaires recherchés.
Considérons le cas des cigarettes. En plus de la TVA classique sur le produit (20 % du prix hors taxes) elles sont surtaxées en moyenne à 510 % du prix hors taxes, avec 425 % de Droit de consommation sur les tabacs (DCT) et 85 % de TVA sur ce droit.
Or, la consommation de tabac est connue pour susciter une accoutumance, voire une dépendance chez ceux qui apprécient particulièrement ce produit. Par conséquent nombre de fumeurs vont se rabattre sur des substituts comme a pu l’être le tabac à rouler ou tout autre produit du tabac moins taxé. Pourtant, leur consommation peut s’avérer tout aussi néfaste pour la santé. D’autres pratiques de contournement existent comme le développement des marchés parallèles. Ces marchés peuvent prendre la forme d’achats transfrontaliers et/ou d’achats « au noir ». Ces phénomènes relèvent d’une logique économique incontournable. Dès que le prix d’un produit est artificiellement déconnecté de la réalité économique à cause des taxes, cela crée une opportunité de profit que des trafiquants n’hésitent pas à s’approprier, notamment dès qu’elle dépasse les risques et les coûts d’être pris.
On perd souvent de vue dans le débat public que ce n’est donc pas la nature du produit surtaxé en soi, ou le « vice », qui est à l’origine de la contrebande, mais la fiscalité qui en est la cause nécessaire et suffisante. Même des produits aussi basiques que le sel ou le savon deviennent rapidement l’objet de contrebande, quand ils sont fortement taxés. Les taxes stimulent d’autant plus le marché noir et la contrebande qu’elles sont « régressives », c’est-à-dire qu’elles frappent relativement plus lourdement les gens à faibles revenus. En effet, ils seront les premiers à recourir au marché noir du fait de leur nécessité à préserver leur pouvoir d’achat.
Le cas des taxes sur les carburants est tout aussi emblématique. En plus de la TVA classique sur le produit (20 % du prix hors taxes) ils sont surtaxés en moyenne à 85 %, avec 70 % de Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et de 15 % de TVA sur la TICPE. Or, l’automobile est un mode de transport indispensable pour nombre de Français et notamment pour ceux qui travaillent ou vivent dans des zones peu denses. Dans ce cas, les stratégies de contournement sont réduites et ces concentrations de taxes sont loin d’être anodines et bien vécues.
Dans une étude publiée dans le « British Journal of Sociology », les sociologues Isaac William Martin et Nadav Gabay ont montré que la fiscalité indirecte – et plus particulièrement les droits d’accise et droits de douane – est la moins bien consentie. Contrairement aux croyances habituelles sur la fiscalité, les taxes indirectes sont surreprésentées dans 475 épisodes de révolte fiscale étudiés au sein de 20 démocraties riches entre 1980 et 2010. On ne peut s’empêcher de penser à l’épisode des gilets jaunes. Plus proche de nous, l’explosion des prix de l’énergie a encore illustré combien – en l’absence de bons substituts – il n’était pas simple de poursuivre une politique de zéro émission par l’augmentation des prix voulue (surfiscalité) ou subie (crise énergétique, réduction de la production nucléaire). En effet, l’inélasticité de la demande a conduit à l’augmentation du recours au gaz, plus polluant que le nucléaire qui fait défaut.
Par conséquent, une politique visant des changements de comportements doit impérativement s’inquiéter pour réussir de l’existence, ou pas, de bons substituts. Elle doit éviter l’écueil d’être exclusivement pénalisante pour le consommateur. La meilleure stratégie comportementale est ce qui s’attèle en priorité à investir dans des produits de substitution solides.
Cécile Philippe
Cécile Philippe – Présidente de l’Institut économique Molinari