Fiscalité environnementale, comment en améliorer la portée ? Entretien avec Vincent Delahaye
Monsieur Delahaye, la fiscalité environnementale vous paraît-elle adaptée aux objectifs poursuivis en matière de réduction des gaz à effet de serre ?
Elle pourrait l’être, en corrigeant les externalités négatives, mais à condition de ne pas être une fiscalité additionnelle. Il ne faut pas oublier que la France fait figure d’exemple dans la lutte contre les gaz à effet de serre. Nous avons un ratio d’émission de CO2 en regard du PIB parmi les plus bas du monde. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Mais il faut avoir à l’esprit que plusieurs impératifs sont à prendre en compte pour relever le défi environnemental. Nous n’y parviendrons que de façon concertée.
Quelles sont les principales conclusions du rapport d’information sur « L’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable » auquel vous avez participé. Sont-elles toujours d’actualité ?
Ce rapport a mis en évidence différents points :
- Un poids prédominant des dépenses fiscales (niches) défavorables au développement durable qui aura tendance à s’accroître en raison de la progression de la « taxe carbone ».
- Des aides à la rénovation des logements peu efficaces et qui produisent des effets d’aubaine mal évalués. C’est souvent vrai pour les aides à la rénovation, les subventions publiques, etc, qui peuvent susciter des effets pervers.
- Des dépenses fiscales relatives aux consommations de carburants ayant principalement pour finalité d’apporter un soutien économique sectoriel. En effet certaines aides fiscales vont à l’encontre des objectifs environnementaux, mais permettent de renforcer l’économie sectorielle.
- La nécessité de consolider les dépenses fiscales relatives aux énergies renouvelables en les articulant mieux avec les autres aides existantes.
En l’absence d’un rapport mis à jour il est aujourd’hui difficile de répondre sur le caractère actuel des trois premiers points. Même si je pense que, globalement, ils sont toujours valables. En revanche le dernier reste clairement d’actualité.
Aujourd’hui, quelles seraient les mesures fiscales vertes pertinentes pour réduire notre impact environnemental ?
Selon moi, la fiscalité environnementale ne doit pas être une fiscalité additionnelle, mais doit se substituer à la fiscalité existante. La loi de 2015 relative à la transition énergétique prévoyait que l’accroissement de la fiscalité verte devait se faire en diminuant les autres taxes et impôts. C’est vrai que, dans le cas contraire, cela peut coûter cher comme l’a montré la crise des gilets jaunes. Par ailleurs, cette fiscalité doit être positive et non punitive, sauf à créer un désordre social. Elle doit favoriser l’amélioration des technologies qui engendrent réellement un meilleur mode de vie.
Je pense aussi qu’il faudrait fixer le niveau des taxes en fonction du degré de pollution des sources d’énergies. Un barème de nocivité pourrait être établi par un comité de scientifiques et d’experts. Afin de déterminer les énergies à encourager et celles à décourager. C’est le meilleur moyen pour favoriser les énergies les moins polluantes et permettre au consommateur de se montrer plus vertueux. Toutefois, ce type de mesure doit être mis en œuvre sans perdre de vue les foyers modestes. On sait que pour un certain nombre de foyers modestes, ou dont la situation économique est tendue, la moindre hausse fiscale énergétique entraîne des répercussions budgétaires fortes. Or, parfois ces foyers n’ont pas d’alternative. C’est toute la complexité du sujet. Créer une fiscalité incitative, positive, et en même temps veiller à ce que le choix soit vraiment réel.
Qu’en est-il de la TVA, Monsieur Delahaye ?
Enfin, je serai pour appliquer une TVA à 0 % sur certains biens. Notamment l’électricité puisqu’en France le nucléaire permet de la produire en émettant très peu de CO2. Cela suppose de modifier la directive européenne de 2006 sur le système commun de TVA pour étendre le champ d’application du taux de TVA réduit à des biens contribuant à la transition écologique tels que les vélos ou les panneaux solaires. C’est une réflexion qui est en cours, puisque, le 7 décembre dernier, dans la proposition de directive modifiant la directive 2006/112/CEE en ce qui concerne les taux de taxe sur la valeur ajoutée, le Conseil de l’Union européenne met à jour la liste des biens et services en y intégrant notamment ceux bénéfiques à l’environnement. Cependant je pense qu’il faudrait aller encore plus loin en matière de TVA.
Comment permettre une meilleure lisibilité des dépenses et recettes fiscales en regard de la préservation de la planète ?
Aujourd’hui la fiscalité écologique est à la fois illisible et inefficace. Ainsi en 2016 on recensait 70 taxes distinctes en la matière. Cela contribue à accroître le poids de l’impôt sans engendrer les effets recherchés. Par ailleurs, ce qui complexifie également la lisibilité de ce type d’impôt, c’est la double taxation avec l’application de la TVA sur les taxes elles-mêmes. Pour moi ce type de mécanisme devrait être supprimé. De plus, il faudrait limiter le nombre de taxes à une dizaine d’impôts bien définis pour que chacun puisse en comprendre l’utilité. Enfin, il est impératif que cette fiscalité ait une meilleure traçabilité, que l’on sache combien coûte et combien rapporte le financement de la transition écologique. Or, il est toujours compliqué de disposer de ce type d’information car elle est éparpillée dans de multiples documents.
Chaque année, Bercy devrait être capable de réaliser un état des lieux des recettes et des dépenses liées à l’environnement. Ce serait une mesure pédagogique que de rendre la fiscalité plus simple, plus lisible, plus compréhensible tout en sachant à quoi elle sert réellement. C’est indispensable pour avoir un bon consentement à l’impôt.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter le rapport d’information du Sénat sur l’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable de 2016 dont le rapporteur est Albéric de Montgolfier.
Vincent Delahaye
Vice-Président du Sénat, Sénateur de l’Essonne, membre de la commission des Finances, participant au groupe de travail sur l’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable.