La science économie s’avère mal à l’aise avec les comportements des individus et les biais créés par la fiscalité. Daniel Haguet, expert en finance comportementale et professeur de finance, fait le point sur la prise en compte de la psychologie dans l’économie.
En quoi la fiscalité comportementale ne répond-elle pas aux mêmes règles que la finance comportementale ?
La finance comportementale apporte un élément psychologique là où les grands courants de la pensée économique partaient de l’hypothèse de la rationalité des individus. Ces derniers en faisant le choix de réfléchir dans un environnement neutre ont éliminé les émotions et considéré que l’individu était complètement rationnel. Par analogie, c’est comme si en biologie, on éliminait les bactéries et tout ce qui peut troubler une expérience. Cette hypothèse simplificatrice de la rationalité a été remise en cause dans les années 70. Là, des psychologues et des économistes ont testé les axiomes de la rationalité sur des individus réels. Leurs travaux ont conclu que le vrai comportement de l’individu n’était pas rationnel et ils ont cherché à ajouter un élément psychologique sur les sentiments et les émotions des individus dans la théorie économique et financière.
Ce que vous appelez la fiscalité comportementale est une manière d’orienter les individus vers un objectif particulier au moyen d’un avantage fiscal. Ce dernier est décidé par les politiques. Pour moi, elle est apparue dans les années 60 avec le dispositif Malraux créé pour régler les problèmes sur les vieux bâtiments dans les centres-ville. L’État souhaite les rénover, mais il n’en a pas les moyens, alors il fait appel aux citoyens et leur accorde un avantage fiscal. Aujourd’hui, elle vise à orienter les comportements de consommation : le tabac, l’alcool… Ce qui me dérange dans cette approche c’est qu’une instance supérieure aux individus puisse se considérer plus intelligente et capable de définir ce qui est bien ou mal. Pire, c’est pour moi un moyen pour éviter de prendre des décisions courageuses. On préfère utiliser la fiscalité pour le prix soit plus cher et qu’il soit plus difficile pour les gens, soit de fumer, soit de boire, soit de faire n’importe quoi. On force le comportement. On manipule le comportement des individus. La fiscalité comportementale se rapproche du « nudge » préconisé par le prix Nobel d’économie 2017 Richard Thaler afin de forcer les citoyens à faire un choix sans mise en place d’une interdiction ou d’une contrainte explicite par la loi. L’option est simplement rendue financièrement moins intéressante.
Qu’est-ce qui explique cette critique vis-à-vis de la fiscalité comportementale ?
Je suis critique, car je n’aime pas que le « politique » manipule les individus. Il y a deux manières à appréhender l’État. La première est de le considérer comme une sorte de fournisseur de service. C’est la vision dite libérale qui limite l’État à des quelques fonctions simples : l’armée, la justice, la police, les routes, les hôpitaux… C’est une forme de groupement d’intérêt économique auquel contribuent les citoyens par l’impôt pour pouvoir en bénéficier. La seconde manière est d’admettre que l’État a une vision plus morale et plus intelligente que les individus. À ce titre, il doit décider et orienter les comportements par la fiscalité. Une valeur mobilière, c’est bien, alors on taxe peu ou pas. L’immobilier, ce n’est pas bien, alors on met en place l’impôt sur la fortune immobilière. Dans cette approche de l’État, nous sommes plus proches de la morale que de la réalité économique ou rationnelle. Les travaux de Richard Thaler, prix Nobel d’économie, sont très éclairants sur le sujet de la manipulation grâce à des techniques psychologiques pour forcer les citoyens à « bien agir » à l’issue de leur plein gré.
Avec ce regard, estimez-vous que la fiscalité comportementale s’appuie sur une logique efficace ?
La fiscalité comportementale tient son efficacité de la sensibilité aux prix des consommateurs. Si vous avez un produit qui est très sensible au prix, évidemment l’augmentation de son prix va décourager la consommation immédiate. Mais ce n’est pas toujours le cas, car cela dépend beaucoup des produits et des objectifs. Par ailleurs, cette hausse des prix ne s’attaque pas à la question de l’addiction qui fait qu’un individu va poursuivre sa consommation de tabac, d’alcool… Elle ne décourage pas les vrais gros fumeurs ou buveurs d’alcool.
Ensuite, il faut reconnaître qu’il y a peu de travaux en finance comportementale sur la fiscalité. C’est-à-dire des recherches pour déterminer si le comportement est cohérent ou pertinent sur le plan économique. La fiscalité est traitée comme un facteur externe, qui se rajoute. Toutefois, la finance comportementale parvient à l’identifier des comportements non rationnels d’un point de vue économique, mais qui s’expliquent par le biais de la fiscalité. Par exemple, aux États-Unis, le fort mouvement de vente de valeurs mobilières à chaque mois de décembre, a été expliqué par le besoin de générer des moins-values fiscales pour les imputer sur la déclaration de revenus de l’année concernée et payer moins d’impôts.
Est-ce que les droits de douane peuvent avoir une analyse différente de celles de la fiscalité comportementale ?
Je ne suis pas spécialiste des relations économiques internationales d’économie. Oui, les droits de douane peuvent être analysés différemment. Les régimes fiscaux privilégiés comme au Luxembourg ou en Suisse ont un impact sur la stratégie d’optimisation fiscale des entreprises. Ces dernières vont choisir leur implantation dans tel ou tel pays en fonction de la fiscalité locale sur les bénéfices, sur le dépôt des brevets. On peut parler de compétition fiscale, où les entreprises vont là où elles peuvent obtenir le meilleur avantage.
Daniel Haguet
Daniel Haguet a rejoint le Département Economie & Finance du Groupe EDHEC en 2001. Il est titulaire d’une maitrise d’économie et d’un DESS de Finance, ainsi que d’un doctorat en Sciences de gestion de l’Université de Nice. Son expertise porte principalement sur les questions de Finance et d’économie comportementale. A ce titre, il est l’un des fondateurs de l’Institut Français de Finance et d’Economie Comportementale (IFFEC).