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Difficulté de mesurer l’efficacité d’une fiscalité comportementale

A l’occasion du petit-déjeuner débat organisé le vendredi 17 mars 2023 au Sénat, les parlementaires ont échangé sur le thème de la fiscalité incitative et son efficacité en présence de Jean Hingray, sénateur des Vosges, de François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes, ainsi que de collaborateurs parlementaires dont Victor Fouquet, conseiller du groupe chargé de la commission des finances.

Abattement, exonération, barème progressif, déduction, crédit d’impôt, taxes etc. En matière fiscale, nul doute que le législateur dispose d’une riche boîte à outils pour maintenir les recettes fiscales en phase avec les besoins de financements et d’investissements publics ainsi que pour provoquer des changements de comportements. Mais toutes les mesures d’incitations fiscales ne rencontrent pas le même succès et n’impactent pas les objectifs fixés de la même manière. Il est en effet souvent difficile d’en mesurer l’impact réel sur les comportements…

François Ecalle, ancien rapporteur général du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques et président de l’association Fipeco, l’a rappelé en préambule, l’impôt a trois fonctions : “financer les services publics, redistribuer des revenus ou des patrimoines et corriger un mauvais fonctionnement des marchés.” Or les économistes ciblent ici ce qu’ils appellent “les effets externes”, c’est-à-dire des comportements d’agents économiques pouvant être négatifs ou positifs, donc ayant un coût ou des bénéfices pour d’autres agents économiques qui ne peuvent supporter ces coûts ou qui ne profitent pas de ces bénéfices. 

Incitation ou dissuasion ?

Dans ces conditions, on estime généralement qu’il est normal et légitime que l’Etat puisse intervenir pour corriger ces dysfonctionnements. “Cette action peut prendre plusieurs formes, souligne François Ecalle, comme la réglementation mais aussi l’impôt à travers la fiscalité comportementale.” Selon l’ancien magistrat de la rue Cambon, “il existe d’ailleurs deux catégories de fiscalité comportementale vraiment très différentes en termes d’impact et de gestion : d’un côté il y a les impôts comme la taxe carbone et de l’autre, il y a des dispositifs de réduction d’impôt ou des crédits d’impôt qui sont de nature très différente économiquement et même en matière de comptabilité nationale !” 

En effet, un crédit d’impôt, de par sa nature, peut être assimilé à une dépense, donc à une subvention. A travers ces réductions ou crédits d’impôt, l’Etat tente donc d’inciter les agents économiques, à l’instar des citoyens, à avoir un comportement vertueux pour leur santé et/ou l’environnement. Il peut s’agir de la rénovation d’un logement pour améliorer son isolation thermique ou encore de l’achat d’une chaudière à condensation utilisant moins de gaz pour chauffer… Mais même si on la voit proliférer ces dernières années, la fiscalité incitative n’est pourtant pas nouvelle comme le souligne Victor Fouquet. Ce dernier a en effet rappelé que cette fiscalité est une pratique déjà ancienne, notamment employée sous l’Ancien Régime pour favoriser les activités ecclésiastiques ou au contraire, en dissuader d’autres. 

Selon ce dernier, il faut dès lors distinguer deux facettes opposées dans la fiscalité comportementale : l’une dissuasive qui vise à décourager certains comportements en relevant certaines taxes (alcool, tabac, carburants fossiles etc.) ; l’autre incitative qui, par dérogation, va induire des pertes de recettes pour l’Etat afin d’inciter tel ou tel comportement en matière économique, environnementale, sanitaire etc. 

Une fiscalité efficiente ?

Victor Fouquet confirme également qu’il peut être très compliqué de mesurer l’efficience d’une fiscalité comportementale et si son objectif est atteint. “Il est notamment difficile d’en évaluer précisément les effets d’incidence et de répartition fiscale” et à l’en croire, “on s’aperçoit souvent qu’un dispositif dérogatoire est par exemple trop généreux et coûte donc plus cher aux finances publiques que ce qui était escompté au départ… Très souvent, on constate que les effets pervers ou d’aubaine de ces mesures fiscales ne sont pas anticipés !” 

Ce fut le cas avec le crédit d’impôt sur l’installation de panneaux photovoltaïques qui a dû être stoppé par le gouvernement de François Fillon en raison d’un puissant effet d’aubaine provoqué par ce dispositif fiscal. Au total, l’accumulation de ces différentes fiscalités génère une certaine instabilité générale et révèle un encadrement administratif insuffisant en amont ainsi que des lacunes dans l’élaboration et l’évaluation des dispositifs fiscaux.

Si la nécessité d’une fiscalité comportementale ne fait guère de doute, c’est la question de l’impôt lui-même qui est revenu au centre des réflexions du jour, à la fois sur son rôle et son périmètre d’action dans la mesure où, originellement, les impôts sont des instruments pour “prélever” et non pour “guider”. 

D’ailleurs, pour François Ecalle, “ce n’est pas parce qu’on observe une externalité négative qu’il faut nécessairement agir !” L’ancien rapporteur estime en effet que “si le coût de ce comportement pour la société est inférieur au coût de gestion de l’impôt, alors il n’y a pas de raison particulière d’intervenir.” La fiscalité comportementale serait donc justifiée si elle correspond bien à des prélèvements identifiés et dont l’objectif est vraiment celui de corriger les comportements des consommateurs et des producteurs. 

Mais pour Victor Fouquet, “il faut surtout faire attention à ne pas étendre cet objectif-là à des prélèvements qui, initialement, ne sont pas faits pour ça”. A défaut, a-t-il insisté, le risque serait grand de générer “des distorsions et des coûts (coût de gestion, coûts administratifs…) supérieurs aux externalités que l’on souhaite corriger à travers le levier fiscal”.

François Ecalle et Victor Fouquet ont enfin poursuivi leur échange avec l’auditoire de parlementaires qui n’ont pas manqué d’enrichir les débats avec leurs points de vue et leurs questions sur le thème de la fiscalité incitative.