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Quand l’inflation vient bousculer l’efficacité-prix de la fiscalité comportementale

inflation

Le mardi 5 juillet, l’Observatoire de la fiscalité comportementale a réuni des parlementaires et économistes pour aborder l’impact de l’inflation sur la fiscalité comportementale. À l’occasion de ce petit-déjeuner, les échanges ont mis en avant le rôle clé de l’efficacité-prix pour changer les comportements.

La fiscalité comportementale vise, comme son nom l’indique, à modifier les comportements. Elle prend la forme de taxes ou d’incitation fiscales dans l’objectif de frapper des activités jugées nocives pour le bien-être du consommateur ou d’encourager les comportements considérés souhaitables par la société. Les échanges entre parlementaires et économistes lors de l’événement organisé par l’Observatoire de la fiscalité comportementale, le 5 juillet dernier à la Maison de l’Amérique latine, ont mis en avant que le succès de ce type de fiscalité repose sur une bonne analyse des utilités recherchées par chaque personne : plaisir, avantages, intérêt, refus, résilience, etc. Selon l’objectif recherché, chaque consommateur peut accepter un prix différent. Cependant, il arrive un seuil au-delà duquel il renonce et se reporte sur une solution alternative. 

Une fiscalité et des prix gradués selon l’impact recherché

Les participants ont souligné que la fiscalité comportementale cherche à atteindre ce seuil, et ce report d’usage, afin de modérer ou annuler les externalités : fumer dans une pièce fermée avec d’autres personnes, avoir un comportement violent suite à un excès d’alcool, diffuser des particules fines dans l’atmosphère en roulant avec un véhicule polluant, etc. Pour cela, la fiscalité comportementale doit créer un niveau de sacrifices suffisamment élevé, pour que le consommateur ne s’y retrouve plus et change sans retour en arrière.

Cependant, des participants ont mis en avant la nécessité de s’assurer que le report est lui-même bénéfique. Pour cela, la fiscalité comportementale aurait tout intérêt à être graduée en fonction de la nocivité. La fiscalité du tabac a été prise en exemple pour illustrer cette absence de modulation. Ainsi, pour la députée Lise Magnier, commissaire de la Commission des Finances, le tabac chauffé devrait subir une taxation plus modérée que le tabac brûlé, car il est bien moins nocif. Une progressivité fiscale aurait aussi pour avantage de montrer l’utilité pour les usagers à changer de comportement, même progressivement. 

Au fil des prises de paroles, il est ressorti que la lisibilité des objectifs recherchés par la fiscalité comportementale est déterminante. Quand les prix restent relativement stables, les orientations souhaitées par la fiscalité comportementale sont clairement identifiables. Tout change lorsque les prix évoluent avec une plus forte amplitude, à la hausse comme à la baisse. Une situation que l’on connaît depuis le milieu de l’année 2021, la situation s’étant amplifiée avec la guerre en Ukraine et la forte hausse des prix de l’énergie et des matières premières qui en ont résulté.

Le retour de l’inflation : les Français changent leurs comportements

Face à la forte augmentation des prix, et en particulier ceux des carburants, « on a une première indication sur les comportements des ménages, relève Christian Saint-Étienne, Professeur émérite au Conservatoire National des Arts et Métiers. Ils choisissent le réservoir plutôt que le frigidaire. » Ainsi, une part importante des ménages arbitrent entre manger moins et se déplacer en voiture. Un comportement éclairant : les taxes sur le carburant qui visent à réduire la consommation de pétrole ne sont plus comprises. C’est dans ce contexte que le gouvernement a proposé une réduction de 18 centimes/litre au passage en caisse, versé un premier chèque énergie et devrait en décider un second, par l’intermédiaire des entreprises.

Toujours selon Christian Saint-Etienne, cette décentralisation de la décision au niveau des entreprises est une bonne stratégie : « Elle laisse les employeurs choisir les salariés qui ont véritablement besoin de leur voiture pour se déplacer ». Pour lui, une telle mesure ne dénature pas l’objectif global de la fiscalité comportementale qui est de décarboner l’économie, tout en tenant compte des conséquences de l’inflation sur les populations les plus fragiles. 

« Être juste, résume Lise Magnier. Si la fiscalité comportementale est perçue comme hyper injuste, elle ne fonctionne pas ». Elle illustre son propos en expliquant qu’une partie de la population n’a pas besoin de coup de pouce car elle dispose de revenus suffisants pour faire face à la hausse des prix. Ce qui n’est pas le cas de 6 millions de Français. Eux, ils auraient besoin d’être protégés. En plus du chèque énergie, la députée suggère que l’octroi de bons alimentaires à utiliser dans une durée limitée serait aussi un bon outil impactant et ciblé pour contrecarrer la hausse des prix dans l’alimentaire.

Protéger les populations fragiles des biais de la fiscalité comportementale

Actuellement, cette dernière se situe autour de 6 % en France et 8 % sur l’ensemble de l’Union européenne. Mais viendra le moment où il y aura l’effet inverse quand viendra la fin de la guerre. Selon Christian Saint-Étienne, « dans le cas où il y aurait une solution pacifique en Ukraine, le régime d’inflation devrait normalement revenir autour de 3 à 4 % ». L’économiste estime qu’en attendant, il convient de prendre des mesures de compensation qui permettent de limiter les effets de l’inflation et anticiper ceux d’une forte baisse de prix de l’énergie dans quelques mois. 

Il constate que les populations sont en grande partie protégées avec la revalorisation régulière du SMIC, des pensions retraite et des points de la fonction publique. Et l’économiste de rappeler : quand on mesure l’inflation, il y a une composante logement qui est importante. Si vous êtes propriétaire, vous n’êtes pas touché par l’inflation. Or, 60 % des Français sont propriétaires. C’est plus de 80 % pour les plus de 50 ans. Mais si justement les moins de 50 ans sont protégés dans leurs revenus, alors la hausse des salaires peut être de seulement 3,5 %. 

Ainsi, face à l’inflation, la fiscalité comportementale garde tout son sens. Cependant, le renoncement à certains types de consommation s’additionne avec l’acceptation conjoncturelle d’une perte de consommation. Or, « cet arbitrage ne s’impose pas, rappelle Christian Saint-Étienne, c’est un choix à faire par l’ensemble des 30 millions de ménages ». Aussi, introduire une répartition de l’accompagnement en fonction des revenus peut être équitable. Mais, Lise Magnier met en garde : « une fiscalité comportementale qui remplit les caisses de l’État ce n’est plus une fiscalité comportementale ».