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Interview de Christian Saint-Étienne – La fiscalité comportementale : atouts et faiblesses

Les taxes sur l’alcool, tabac, produits gras et sucrés
La fiscalité comportementale vise à modifier les comportements par des taxes spécifiques frappant des activités jugées nocives pour le bien-être des consommateurs-citoyens. Les plus connues sont les taxes sur l’alcool, le tabac, les produits gras et sucrés afin que les consommateurs réduisent leur consommation ou se détournent de ces produits. La plus récente en gestation, la taxe carbone, veut pousser les citoyens à préférer les activités les moins émettrices de carbone.
 
De nombreuses études ont essayé de mesurer l’effet réel de ces taxes sur la modification des comportements. Cet effet est d’autant plus difficile à évaluer que le vecteur de changement est une hausse de prix relatif induite par la taxe, en présence de produits de substitution et de circuits parallèles d’approvisionnement, notamment via la contrebande.

De nombreuses questions politiques, éthiques et techniques doivent être explicitées: qui décide que tel comportement est nocif pour l’individu ou la société? En fonction de quelles données, morales, scientifiques ou idéologiques? Sachant que certains comportements visés sont particuliers à certaines couches de la population (alcool, tabac, etc.), quels sont les effets sur la vie des personnes visées et comment risquent-elles réagir face à ce qu’elles peuvent percevoir comme une stigmatisation inacceptable, notamment dans un contexte d’usage massif des réseaux sociaux ? Sur le plan technique, pour estimer les effets des taxes sur les comportements, il faut mesurer des élasticités-prix en faisant des hypothèses sur les fonctions d’utilité de ceux qui consomment ces produits, ou utiliser des résultats d’enquêtes pour en dériver des élasticités-prix par l’analyse économétrique, voire modéliser des comportements d’addiction, ce qui n’est jamais simple ou incontestable.
 
Il apparaît ainsi que les bases théoriques et politiques de la fiscalité comportementale sont d’autant plus fragiles que les considérations budgétaires ne sont pas absentes de la mise en place de ces taxes. Par exemple, les taxes sur l’alcool, le tabac ou les produits pétroliers ont toujours servi à financer la dépense publique et le fait de mettre en avant le caractère « vertueux » de ces taxes sert souvent de prétexte pour durcir cette fiscalité spécifique.
 
Il n’en reste pas moins vrai que le calcul d’optimisation explicite ou implicite d’un individu ou d’une entreprise dans ses choix économiques n’intègre que ses coûts et avantages privés sans tenir compte des coûts ou avantages de ses choix pour la société, ce que la théorie économique nomme «externalités». Il est donc légitime de donner un prix explicite à ces externalités en taxant, par exemple, la pollution ou les déchets, ou l’alcool dont l’excès de consommation peut provoquer la violence.
Il est essentiel, lors de la mise en place de nouvelles taxes comportementales, de prendre en compte l’intérêt global des personnes visées. L’échec de la mise en œuvre de l’écotaxe sur les poids lourds sous François Hollande, un fiasco coûteux pour les finances publiques, est largement imputable au fait que les transporteurs ne recevaient aucune compensation par la baisse d’autres taxes. Au contraire, l’Allemagne a réussi la mise en œuvre de l’écotaxe en compensant les transporteurs.
 

La fiscalité comportementale est un instrument complexe à utiliser. Il n’est utile que lorsque les intérêts de tous les acteurs concernés sont pris en compte.

Christian Saint-Étienne

Professeur émérite au Conservatoire National des Arts et Métiers – Chaire d’économie industrielle
Auteur du Libéralisme stratège aux Éditions Odile Jacob